Journal de l’exposition à la Cabane de Belle et Sébastien

Août 2021

L’année dernière fut marquée par des rencontres fortuites et drôles. Je vous en conte quelques-unes avant d’en faire de nouvelles avec la prochaine exposition dans la Cabane de Belle et Sébastien en juillet 2022.

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Cendrillon, le retour

Une après-midi où je paressais comme de coutume au soleil, randonneur m’a raconté son périple malheureux. Déjà en le voyant approcher de la Cabane de Belle et Sébastien, je luttais vainement pour ne pas rire de son infortune. La montagne avait recraché ce charmant garçon en vieillard, claudicant, un rictus de douleur déformant son beau visage à chaque pas. Le maudit a perdu dès le départ la semelle de sa chaussure et a bricolé au refuge de Nice un soulier de fortune à l’aide d’un pneu.

Un pneu, c’est mieux que rien pour finir une boucle de plusieurs jours en boîtant. Je l’écoute comme une enfant à qui l’on conte Cendrillon. Dans cette version il n’y a ni talon aiguille, ni service après-vente mais il rit de ses chaussures discount, soulagé d’être au bout de ses peines. La morale de l’histoire c’est qu’il faut une bonne paire de chaussures pour marcher en montagne. D’ailleurs, j’en profite pour vous faire une petite page publicitaire pour des chaussures incassables à des prix imbattables ! (annonce sponsorisée)

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Un projet fructueux

Une matinée de soleil ardent, je reste assise devant la cabane pour me réchauffer de la fraîche nuit dans la Gordolasque. Un homme corpulent s’assoit à mes côtés, agonisant et laissant femme et enfants continuer la promenade. Après quelques bonjour-merci-aurevoir avec des visiteurs qui entrent et sortent, l’homme avec l’œil rieur me raconte tous les bénéfices financiers que j’aurais en transformant la Cabane de Belle et Sébastien en buvette. Je suis touchée par son projet financier, l’idée semble fructueuse et me laisse songeuse. Mais pas longtemps car une femme interrompe mon rêve. Le regard rond de tendresse et d’indiscrétion elle me demande :

– « Vous arrivez à en vivre ? ».

Personne ne se permet de demander le salaire d’un inconnu mais pour les artistes, c’est l’éternel assaut. Je saute sur l’occasion car ma réponse de cigale à fourmi est déjà prête. Je l’envoie avec un emballage philosophique et des timbres de crédulité :

-« Oui… heu non… si c’est pour l’aspect financier. Si j’en vis de mon art ? mais je n’arrive pas à vivre sans… Vous voyez la question qui se pose pour moi c’est « Est-ce que je peux vivre sans art ? » mais personne ne me pose cette question ! et la réponse est non. Non, je ne peux pas vivre sans rêves, sans passions, sans poésie.

– Oui, oui je comprends ! évidemment !

Puis elle tourne les talons toute embrouillée et encore curieuse de savoir mes sources de revenu. Je rigole intérieurement pendant qu’elle cherche autour d’elle de nouveaux indices qui pourrai satisfaire sa curiosité. La réponse décontenance toujours les plus curieux car je n’aime ni leur apitoiement, ni même qu’ils évaluent mon travail artistique aux sommes d’argent que je peux récolter. Oui, je vis de mon art puisqu’il donne du sens à mon existence.

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La Vétérinaire

Sous un ciel gris engloutissant progressivement les sommets de la Gordolasque, je fais la connaissance d’une vétérinaire. Elle revenait d’une boucle de deux jours en solitaire. Face à mon exposition, elle m’explique les déséquilibres dus à l’homme dans le monde animalier. Les inégalités entre le nombre d’animaux domestiques et d’élevages grandissant et le nombre d’animaux sauvages diminuant et menacés de disparition. La cabane désertée par les flâneurs, s’assombrit.

Dehors le brouillard gagne du terrain. L’intérieur ressemble maintenant à une grotte avec son mur de roche gris anthracite imposant. Elle parle lentement avec un léger accent espagnol, tout est noir comme du fusain, des cils aux cheveux en passant par son regard. Les éclairs rebondissent à travers la fenêtre, le tonnerre frappe. Elle me confie qu’à travers son métier, elle voit les animaux domestiques de plus en plus fragiles et présentant des maladies orphelines qui les laissent perplexes.

Nous sommes proches l’une de l’autre. L’obscurité nous enveloppe et sans un mot, nous entrevoyons un monde bien triste. Un monde où il ne restera que de dociles chiens et de capricieux chats. Une terre désolée où l’on voit des oiseaux en cage, des poissons en bocaux, des alignements de porcs à l’infini, ici de vaches, et là de moutons… tous bien rangés, propres et productifs. Heureusement sous un déluge rafraîchissant, sursautant comme une grenouille à chaque éclair, nous rions aux éclats laissant ce sombre tableau dans la Cabane de Belle et Sébastien.

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Les Chiffres

Très tôt le matin, je voyais des sportifs fonçant sur la montagne, le nez rivé sur leur montre. Des hommes ou des femmes, jeunes ou d’âges murs, courant après le temps. Le pas inflexible aux objectifs du week-end. De la Cabane de Belle et Sébastien, de mon exposition ou de mes œillades, je savais que rien ne les détournerait de leur plan de route. Ils fonçaient, tête baissée sur leurs chiffres. Tout est comptabilisé secondes, calories, pas, battements de cœur, masse musculaire, dénivelé, kilomètres…

Des chiffres, des chiffres ! Pas de temps pour les imprévus, le partage, la contemplation. A chaque fois qu’un d’eux passait, j’étais en proie au désespoir, une impression de déjà vu avec le monde du travail. J’avais envie de leur crier « mais enfin ! c’est le week-end, pourquoi êtes-vous encore pressé ?  » à quoi bon ils étaient déjà bien loin pour entendre la fin de ma phrase. Et la réponse, je la connais bien : les chiffres, les chiffres ! Le culte des chiffres.

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Les enfants et l’ermite

Un trentenaire aux allures d’ermite, me montre ses photos, encore sous l’émerveillement de la nature sauvage du Mercantour. Il semble épuisé physiquement mais ses yeux rayonnent sous une barbe de prophète. Après un Burn Out dans sa profession, une démission salvatrice, il a décidé de marcher deux semaines pour se ressourcer. Il me raconte son projet de s’installer ici pour cultiver un morceau de terrain et je lui souhaite beaucoup de succès.

Pendant ce temps, les enfants crient, courent, rebondissent dans l’étroit musée troglodytique. Ils me font blêmir car certaines des sculptures en bois exposées maintenant dans la cabane de Belle et Sébastien sont instables. Ces sculptures sont réalisées durant la Fête du Berger au village de Belvédère. Je présente aux enfants, mon ami le berger coupé à la tronçonneuse pendant qu’ils se remplissent les poches de mes cartes de visite. Les enfants sont moins terribles quand ils rentrent d’une randonnée. Les voilà qui cherchent aussitôt un endroit où s’asseoir au frais, silencieux et contemplateurs.

RDV en juillet 2022 pour vous conter le loup.

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Loup2Mercantour56x76 aquarelle

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